Extrait de Ciels extraterrestres
Avant-propos
Quand j’étais enfant, j’adorais la science et la science-fiction. Je dévorais tous les livres de science qui me tombaient sous la main, surtout ceux sur l’astronomie, et j’apprenais absolument tout ce que je pouvais sur le sujet. Et si la science ne m’apportait pas la réponse que je cherchais — soit parce que cette réponse n’existait pas encore soit parce que je ne pouvais pas la comprendre — la science-fiction était là pour alimenter mon imagination.
Je rêvais de me tenir sur la passerelle d’un vaisseau — peu importait lequel : l’Enterprise, le Jupiter 2 ou n’importe quel autre vaisseau sorti du rêve de qui que ce soit d’autre — et de regarder les étoiles défiler, d’autres planètes s’approcher. J’aurais levé les yeux pour voir au-dessus de ma tête un ciel vert, éclairé par trois soleils, entourés d’une douzaine de lunes. Ou je serais passé à côté d’une nébuleuse multicolore et lumineuse dans laquelle des étoiles auraient été en train naître. Ou j’aurais volé à travers un amas d’étoiles, la coque du vaisseau réfléchissant la lumière d’un million de soleils.
J’en ai bien plus que rêvé en fait : je l’ai férocement désiré ! D’une certaine manière, c’est pour voir toutes ces choses que je suis devenu astronome, pour voyager dans l’univers et admirer ses merveilles, ne serait-ce qu’à travers l’oculaire d’un télescope ou l’écran d’un ordinateur.
Mais aussi pour pouvoir embarquer d’autres personnes avec moi. Après avoir obtenu mon doctorat à la fin des années 1990, j’ai commencé à écrire et à donner des conférences sur l’astronomie. J’ai alors appris qu’il y avait bien d’autres candidats que moi aux voyages dans l’espace, qu’ils voulaient eux aussi s’approcher au plus près de la connaissance de l’univers. Je montrais l'image magnifique d’une nébuleuse ou d’une galaxie et, inévitablement, les gens me demandaient : « Est-ce vraiment à ça que ça ressemblerait si on y était ? »
La réponse à cette question est presque toujours : « Eh ben… c’est compliqué. » Un télescope et un humain ne voient pas les choses de la même façon, et il peut être difficile de comprendre ce que vous verriez si vous visitiez réellement un objet cosmique. Mais la question me taraudait. Vus de près… à quoi ressembleraient ces objets ?
Plus j’y réfléchissais, plus la question me passionnait. À l’époque, je travaillais sur les données du télescope spatial Hubble et je m’interrogeais parfois sur ce que je voyais. Il m’est arrivé plus d’une fois de regarder une image de champ d’étoiles dans une galaxie proche et l’enfant tapi au fond de mon esprit finissait toujours par prendre le relais. Dans ma tête, je pilotais un vaisseau spatial à travers ces étoiles, perçant une nébuleuse lumineuse, frôlant l’atmosphère extérieure d’une géante rouge.
Nous avons accumulé énormément de connaissances scientifiques depuis le temps où je m’imaginais parcourir la galaxie. Quand j’étais jeune, les images astronomiques étaient généralement des photos délavées, vaguement colorées, qui ornaient des livres ou des journaux. Les images renvoyées par les sondes spatiales étaient de faible résolution et difficiles à interpréter. Et voilà que je passais à présent mes journées à regarder d’incroyables photos à très haute résolution prises par Hubble.
J’ai décidé qu’il serait amusant d’écrire un article en mariant la science à la fiction, et j’ai soumis l’idée au magazine Astronomy. Ils ont accepté. L’article est paru sous le titre « Under Alien Skies » (« Sous des ciels extraterrestres »), et figurait en une du magazine de janvier 2003. Il explorait l’intérieur d’un amas globulaire, de la nébuleuse d’Orion et d’une planète en orbite autour d’une étoile naine rouge.
J’ai adoré écrire cela ; cela m’a permis de laisser à mon cerveau de scientifique le loisir de rechercher, d’apprendre et d’expliquer les concepts, tout en laissant l’enfant en moi le diriger. C’est plus ou moins mon modus operandi depuis lors : parler de science, mais en m’amusant. J’ai tout de suite eu envie d’en écrire davantage sur le sujet, mais j’ai dû attendre des années avant de concrétiser cette idée.
Elle ne m’a jamais quitté. Et l’attente est parfois bénéfique. Au fil des ans, de nouveaux télescopes ont vu le jour, ouvrant de nouvelles perspectives. Ils ont apporté de nouvelles données, bien réelles, qui ont donné un éclairage nouveau sur les paysages imaginaires qui bouillonnaient dans ma tête. Nous avons découvert des planètes en orbite autour d’autres soleils et en avons appris davantage sur la mécanique des amas d’étoiles. Nos sondes ont visité la Lune, Mars, Jupiter, Saturne et même la petite et glaciale Pluton, renvoyant des images époustouflantes de ces mondes. Une collaboration scientifique mondiale a même permis de révéler la première image en gros plan d’un trou noir.
Je n’ai pas pu résister plus longtemps. Nous sommes loin de tout savoir sur ces endroits lointains, mais nous en savons de plus en plus. Après tout, c’est le but de la science : apprendre !
Un jour viendra peut-être où nous pourrons voyager dans le système solaire sur un coup de tête. Peut-être, bien que cela soit beaucoup moins probable, aurons-nous des vaisseaux capables de voyager plus vite que la lumière, ce qui nous permettra de franchir les immensités vides qui séparent les étoiles. En attendant, il nous reste l’imagination. Ce qui n’est pas si mal. Surtout que nous disposons aujourd’hui de siècles de science, de mathématiques et d’observations astronomiques. Elles nous permettent d’imaginer ce que nous pourrions voir et vivre au cours d’un périple dans le cosmos.
Nous en savons suffisamment pour nous faire une idée plus précise de la situation, et nous pouvons assez bien extrapoler ce que nous ne savons pas encore. L’univers est vaste.
Que verrions-nous sous des ciels extraterrestres ?
Partons en voyage pour le découvrir.
CIELS EXTRATERRESTRES
UN PETIT PAS
LA LUNE
Il est minuit, heure locale — précision bien inutile, tout le monde utilise de toute façon le Temps Universel pour plus de commodité — et vous êtes dehors, allongé sur une chaise longue spécialement conçue pour vous. C’est plus qu’une chaise longue. Elle est prévue pour accueillir votre volumineux scaphandre et vous maintenir dans la bonne position : en gros, vous ne pouvez regarder que droit devant vous. Les autres touristes de votre groupe vous entourent, assis sur leurs propres chaises longues. À votre arrivée, il y avait déjà là plus d’une douzaine d’autres personnes. Leurs combinaisons spatiales permettent de les identifier comme membres des équipes d’exploitation minière du pôle sud. Apparemment, toutes les agences et entreprises spatiales ont accordé au personnel non essentiel une dérogation spéciale pour cet événement. Nul ne voudrait travailler dans les mines de glace à ce moment précis !
Située à l’extérieur du grand sas Alpha, cette vaste plateforme a été spécialement aménagée comme site d’observation pour cette occasion précise. Les fauteuils sont réglables, mais ils sont fixés sur des supports encastrés dans la plateforme. Ils sont fabriqués dans un matériau résistant aux variations de température et aux rayons ultraviolets du Soleil. La plateforme elle-même est faite de régolithe, c’est-à-dire de morceaux de roche pulvérisée et de poussière de la surface, conditionnée et traitée pour en assurer la solidité.
La position n’est pas vraiment confortable, mais ce n’est pas si mal. Les guides ont ajusté les sièges de chacun à l’avance et ont veillé à ce que tout le monde soit aussi à l’aise que possible dans de telles circonstances. Les lumières extérieures ont été éteintes il y a quelques instants, mais vous voyez très bien : une pleine Terre est suspendue juste au-dessus de vous, projetant plus de lumière qu’il n’est nécessaire pour voir clair. Certainement plus que ne le fait la pleine Lune depuis la Terre.
Vous levez les yeux vers elle. Dans un premier temps, la texture de la surface de la Terre — les nuages, la terre, l’océan — rend l’observation difficile. Puis vous remarquez ce que vous êtes venu voir : un petit cercle noir flou, petit par rapport au disque de la Terre, qui glisse lentement sur la face du monde qui a vu naître l’humanité. La vitesse est relative, bien sûr. Cette ombre se déplace à plus de 1 600 kilomètres par heure, soit plus vite que la vitesse du son. Mais à 400 000 kilomètres de distance, même cette vitesse impressionnante semble lente.
Soudain, votre intercom se remplit de cris de joie : « La voilà ! » Vous souriez, et vous coupez le son. Vous préférez vivre cette expérience seul. En cas d’urgence, les guides peuvent de toute façon passer outre la mise en sourdine.
Tout en vous tortillant un peu dans la combinaison pour bien vous y installer, vous vous remémorez la fois où vos parents vous ont emmené dans le Wyoming pour assister à une éclipse solaire. L’ombre a balayé les États-Unis et tout le monde à l’époque l’a appelée la Grande Éclipse américaine. Vous n’étiez qu’un enfant. Vous vous souvenez des changements de lumière, de l’air froid, des chants d’oiseaux qui s’arrêtaient tandis que les grillons commençaient à striduler, pensant que l’obscurité qui s’installait était celle de la nuit et non pas juste l’ombre de la Lune qui balayait le paysage. Lorsque l’éclipse fut totale et que la Lune eut caché la lumière du Soleil, la majesté de la couronne solaire — son atmosphère éthérée, qui l’entoure telle une brume lumineuse — vous a coupé le souffle. C’était étrange et magnifique, peut-être la plus belle chose que vous ayez jamais vue à l’époque.
Cette fois, le silence est absolu. Pas de vent, pas d’oiseaux, pas d’insectes. Il n’y a que vous, à l’intérieur de la combinaison, qui regardez l’ombre de la Lune glisser sur la Terre.
Vous masquez la Terre avec votre main, et l’éblouissement qui s’en dégageait jusqu’à présent s’évanouit. Le ciel qui l’entoure est noir, totalement noir, mais parsemé de quelques étoiles. Si vous laissiez vos yeux s’adapter quelques minutes, vous en verriez des milliers — mais vous l’avez déjà fait à maintes reprises, à l’extérieur. Quand vous baissez la main, la Terre monopolise à nouveau votre regard.
Quelques minutes plus tard, vous pouvez constater que l’ombre ne balaie pas toute la planète, mais que son trajet y dessine un arc. C’est dommage, mais c’est quand même très impressionnant et ça valait vraiment le coup.
Et puis c’est fini. Vous devez attendre que les guides vous aident à vous relever, car en raison de la faible gravité, ce genre de mouvement est un peu délicat. Les mineurs, eux, sortent immédiatement et se dirigent vers le sas. C’est probablement leur longue expérience sur la Lune qui leur permet de se déplacer avec autant d’aisance.
Au bout de quelques minutes, vous vous retrouvez avec le reste de votre groupe. Le sourire est sur toutes les lèvres, l’émerveillement s’attardant sur les visages dans une expression qui, pensez-vous, doit refléter la vôtre. Vous vous dirigez avec eux vers le sas, et les guides passent tout le monde en revue. Ils vérifient le bon fonctionnement des scaphandres et balaient la poussière de régolithe d’un coup de décharge électrostatique. Vous constatez que les mineurs sont déjà à l’intérieur. Ils se dirigent vers les navettes qui les ramèneront au pôle sud lunaire, vers les ombres, la glace et les engins d’extraction.
Tout en les observant, vous pensez : désormais je peux prétendre être l’un des rares humains à avoir assisté à une éclipse solaire mais… de l’autre côté, un des rares à s’être trouvé au-dessus de la Terre et à la regarder au moment où, du point de vue des Terriens, la Lune masquait le Soleil.
Le sas se referme derrière vous, vous coupant du paysage lunaire. Il est temps de passer à l’aventure suivante.
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De tout l’univers observable — une infinité d’étoiles, de galaxies, de nuages de gaz, etc. — la Lune est l’objet astronomique le plus proche de nous. Elle nous est si familière que nous ne lui donnons même pas vraiment de nom : nous l’appelons simplement la lune ou, plus exactement, la Lune, L majuscule, l’archétype des autres lunes du système solaire, dont le l est minuscule.
Et pourtant, bien qu’elle soit notre voisine immédiate, elle reste l’un des corps les plus étrangers qui soient.
C’est une drôle d’ironie. Après tout, la Lune est visible par l’ensemble de notre planète. Deuxième objet le plus brillant du ciel, elle est suffisamment lumineuse pour nous permettre de lire, et c’est l’un des rares objets célestes dont on peut distinguer les caractéristiques à l’œil nu. Elle a été cartographiée avant même l’invention du télescope.
Mais attention, depuis la Terre, la moitié de la Lune est totalement et à jamais cachée. L’expression « face cachée de la Lune » est même devenue synonyme de « mystérieuse », « lointaine », « à jamais cachée ».
La quantité de détails que nous pouvons observer depuis la Terre à l’aide de grands télescopes est limitée. Même avec le télescope spatial Hubble, le plus petit objet que nous puissions voir sur la Lune a la taille d’un terrain de football. Mais avec l’avènement des voyages spatiaux, notre vision de la Lune est devenue beaucoup plus précise. Nous y avons envoyé des dizaines de sondes, qui en ont fait le tour, qui s’y sont posées, qui l’ont survolée. Et, bien sûr, six de ces missions ont transporté des humains, qui ont foulé son sol.
Notre dernière visite lunaire avec équipage remonte à un certain temps, mais les progrès de l’astronautique nous permettent de l’envisager à nouveau. Ce n’est plus de la science-fiction que de penser que les voyages sur la Lune deviendront une routine. Les lancements de fusées sont de moins en moins coûteux, du moins par rapport à ce que les gouvernements ont l’habitude de dépenser, et de plus en plus de pays s’impliquent dans l’exploration lunaire, envisageant d’installer des bases scientifiques avec équipage et même d’exploiter les ressources de la Lune. Il n’est donc pas du tout idiot de prédire aussi l’avènement du tourisme lunaire. Je ne suis pas assez fou pour me risquer à essayer de deviner quand, mais je peux espérer voir une telle chose de mon vivant . Notre Lune, paradoxalement familière et totalement mystérieuse, pourrait un jour accueillir des touristes batifolant à sa surface. Comment cela se passera-t-il ? Que ressentiront ces touristes de l’espace ? Que verront-ils ?
Imaginons que vous soyez l’un de ces touristes, participant à une aventure que si peu d’humains ont eu la chance de vivre. Nous sommes quelques années dans le futur, peut-être quelques décennies, et vous êtes monté dans une fusée jusqu’à l’orbite terrestre, puis vous avez été transféré dans une navette qui vous a emmené jusqu’à la Lune . Peut-être êtes-vous déçu, en atterrissant, de ne pas pouvoir aller tout de suite dehors. Depuis l’aire d’atterrissage, vous êtes emmené dans un tunnel qui mène directement à votre hôtel. La sécurité avant tout ! Après tout, vous êtes sur un monde inhospitalier et vous devez prendre le temps de vous adapter.
Vous allez en comprendre l’utilité dès que vous poserez un pied au sol. La première chose que vous constaterez en arrivant, c’est qu’être sur la Lune est décidément très bizarre.
Je ne parle même pas de votre façon de marcher, de traîner les pieds, de sauter ou de tomber au ralenti. Clairement, dès que vous essayez de bouger, voici ce qui se produit : vous tombez, lentement, sur votre derrière, en battant désespérément des bras, en vain. Et d’ailleurs, le simple fait de rester debout est en soi une aventure.
C’est dû à la gravité de la situation. La gravité ressentie à la surface d’un objet — qu’il s’agisse d’un astéroïde, d’une lune, d’une planète ou d’une étoile à neutrons — dépend de sa masse et de sa taille. Le diamètre de la Lune fait environ un quart de celui de la Terre et sa masse est quatre-vingt fois plus petite. Cela fait que la gravité à la surface de la Lune est d’environ un sixième de celle de la Terre.
Passez sur la balance et faites le calcul : si vous avez le poids moyen d’un adulte sur Terre, vous constaterez que vous pèserez entre 10 et 15 kg sur la Lune. C’est à peu près le poids d’un enfant de trois ans sur Terre. Ainsi, vous, qui êtes probablement adulte (ou en voie de le devenir), perdrez 5/6e de votre poids « terrestre » une fois sur la Lune.
C’est une sensation assez étrange. Si vous avez déjà fait des montagnes russes, si vous avez déjà pris l’avion ou même rien que l’ascenseur, vous avez déjà ressenti des gravités supérieures et inférieures. Mais c’était sur de courtes périodes, à peine quelques secondes. Sur la Lune vous pèseriez toujours un sixième de votre poids terrestre.
Le simple fait d’y être sera donc une expérience déstabilisante. Marcher normalement sera impossible. Vous êtes habitué à marcher de façon à soutenir votre poids contre la gravité terrestre, qui vous tire vers le bas. La gravité étant plus faible sur la Lune, si vous marchiez de la même manière, vous exerceriez une force bien supérieure à celle dont vous avez besoin. Vous vous envoleriez à chaque pas. Il vous faudrait donc déplacer vos membres beaucoup plus lentement à chaque foulée ; bref, adapter la force à appliquer à votre démarche et son rythme.
Les astronautes d’Apollo, pendant qu’ils s’entraînaient à marcher sur la Lune puis une fois sur place, ont découvert que traîner les pieds était la meilleure façon de se déplacer. C’est un compromis entre marcher et sauter et c’est la méthode qui demande le moins d’énergie. Ce qui est important, car se déplacer dans une lourde et encombrante combinaison spatiale est vraiment très fatigant .
Si vous laissez tomber un objet, il tombera plus lentement ; mais si vous tendez la main pour le rattraper, vous risquez de le dépasser en vous déplaçant aussi rapidement que vous en avez l’habitude sur Terre. Il faudra un certain temps pour s’y habituer. Les débutants réagiront probablement de manière excessive à plusieurs reprises avant de se faire à la faible gravité.
Vous devrez également faire attention à la différence entre la masse et le poids — un point tout ce qu’il y a de plus théorique ici sur Terre. Votre masse correspond à la quantité de matière que vous possédez et reste donc la même où que vous soyez, alors que votre poids dépend aussi de la gravité que vous ressentez. Ainsi, même si vous pesez beaucoup moins et vous sentez plus léger sur la Lune que sur la Terre, vous avez la même masse et donc la même inertie, c’est-à-dire la même résistance à un changement de vitesse ou de direction. Cela signifie que si vous vous déplacez rapidement, il vous faut la même force que sur Terre pour vous ralentir puis vous arrêter. Vous pourriez avoir l’impression qu’il en faudrait moins parce que vous pesez moins, mais l’inertie dépend de la masse et non du poids. Si vous voyez quelque chose de cool à la surface et que vous décidez de courir dans sa direction, vous aurez du mal à ralentir et vous dépasserez probablement votre cible, ce qui vous fera probablement tomber.
Mais avec le temps, vous vous y habituerez. Se déplacer plus lentement et en toute conscience vous semblera naturel, et vous aurez bientôt le pied lunaire.
Mais ce n’est que le premier pas. Littéralement.
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Quand on est sur un monde étranger, les choses sont… différentes. C’est bien pour cela qu’on l’appelle « étranger ».
Coincé dans votre hôtel lunaire pendant un jour ou deux, le temps de vous acclimater, vous êtes attiré par la grande baie vitrée qui donne sur le paysage lunaire. Cela ne ressemble pas vraiment à la Terre. Il y a peut-être des montagnes ou des collines au loin, probablement quelques rochers ici et là, mais, surtout si vous êtes à l’étage et que vous bénéficiez d’une vue d’ensemble, vous constatez que le paysage est couvert de cratères. Certaines zones, appelées les hautes terres, en sont saturées : chaque centimètre carré de la surface se trouve dans l’un ou l’autre cratère. Ils se chevauchent, les plus récents se superposant aux plus anciens, les masquant partiellement.
Ces cratères sont comme des taches laissées par des astéroïdes et des comètes, des boules de glace rocheuses (ou des boules de roche glacées) en orbite autour du Soleil. Les cratères sont rares sur Terre, où l’air agit comme un bouclier contre les objets menaçants les plus petits. Il les brûle lorsqu’ils traversent l’atmosphère à des vitesses hypersoniques, comprimant et chauffant brutalement l’air qui les précède. Les plus petits rochers sont vaporisés et les plus gros, jusqu’à un diamètre d’environ 30 mètres, s’effondrent sous l’effet de la pression. Seuls les plus gros calibres sont susceptibles de traverser notre atmosphère et de creuser un cratère. Lorsque cela se produit, l’érosion par le vent et par l’eau (et sur de très longues périodes, avec la tectonique des plaques et la dérive des continents en prime) l’efface progressivement. Par conséquent, il ne reste plus beaucoup de cratères sur la Terre ; on n’en connaît qu’environ 130. Vous pouvez en trouver autant sur la Lune rien qu’en baissant le regard pendant que vous sortez de chez vous .
La grande différence, c’est que la Lune est dépourvue d’air. Sa gravité est trop faible pour retenir les gaz très longtemps. La lumière du soleil les réchauffe, les fait gonfler. De ce fait, ils s’échappent sur des échelles de temps géologiques (des millions d’années). Sans atmosphère pour les brûler, les astéroïdes et les comètes frappent directement la surface lunaire à des vitesses extrêmes, plusieurs dizaines de milliers de kilomètres/heure. L’énergie de leur mouvement peut être énorme, équivalente à celle d’une arme nucléaire pour les gros rochers. Lorsqu’ils sont très très gros — disons de la taille d’une montagne — cette énergie peut dépasser la totalité de l’arsenal nucléaire mondial. Lorsqu’ils percutent la surface, cette énergie est libérée sous forme de chaleur et de lumière, et des morceaux de roche lunaire sont projetés à toute vitesse dans une explosion qui fait naître un cratère.
L’érosion n’est toutefois pas absente de la Lune. De nombreux processus en rongent la surface, mais ils opèrent plus lentement que sur Terre et de manière plus particulière. Par exemple, sans atmosphère pour réguler la température, il fait très chaud sur la face éclairée de la Lune et très froid sur la face sombre. Sur Terre, l’atmosphère humide (et les océans) permet d’éviter cela ; l’eau est un excellent absorbeur et émetteur de chaleur. Elle l’absorbe pendant la journée et la libère la nuit, ce qui atténue les grands écarts de température. Une différence de température de 15 °C environ entre le jour et la nuit semble normale (bien que dans les déserts et autres régions sèches, l’écart puisse être plus important), mais sans cet air, la différence serait bien plus importante.
Il peut facilement faire 120 °C à midi et -130 °C peu avant l’aube. Les roches de la surface subissent ces variations de température extrêmes chaque jour lunaire. Leur réchauffement et leur refroidissement rapides entraînent leur dilatation et leur contraction. C’est ce que l’on appelle la contrainte thermique. Ce phénomène peut les fracturer et, avec le temps (des millions d’années ou plus), transformer de grosses roches en petits cailloux.
Les débris interplanétaires contribuent également à l’érosion de la Lune. Tous ces matériaux ne sont pas de grande taille ; l’espace est rempli de petits morceaux provenant d’astéroïdes et de comètes, la plupart de la taille d’un grain de sable voire encore plus petits. Lorsqu’ils atteignent la Terre, ils brûlent dans notre atmosphère, formant des météorites (ou, comme on les appelle communément et de manière trompeuse, des étoiles filantes). Mais ils frappent directement le sol de la Lune, dépourvue d’atmosphère. Les plus petits peuvent créer des cratères microscopiques sur les roches. Là encore, avec le temps, ces cratères érodent les roches de la surface lunaire.
La façon dont ces processus agissent sur les cratères aide les planétologues à en déterminer l’âge. Les jeunes cratères ont des bords nets et leurs éjectas (les matériaux éjectés du cratère dans la zone environnante) sont brillants. Au fil du temps, l’érosion adoucit le bord et la lumière du soleil assombrit le matériau éjecté. Ce qui peut prendre des millions, voire des milliards d’années. Que ressentirait-on si l’on se trouvait dans l’un de ces petits cratères érodés, sachant que ces processus ont agi sans relâche pendant des millions d’années, avant que les dinosaures ne marchent sur la Terre, peut-être même avant que la vie n’émerge des océans en rampant ?
En poussant ce processus d’érosion jusqu’à sa conclusion logique, même les grosses roches finissent par se transformer en une poudre appelée régolithe. Ne confondez pas cette poudre avec de la boue ou de la terre ; ces termes impliquent des processus biologiques qui décomposent les roches et les minéraux sur Terre. L’absence de vie signifie qu’il n’y a pas de « terre » sur la Lune. Le régolithe ressemble à une poudre grise très fine, mais celle-ci, examinée au microscope, se révèle loin d’être lisse : les grains sont déchiquetés, rugueux et parfois même vitreux en raison de la chaleur dégagée par les minuscules impacts. Cela ressemble plus à des cendres volcaniques qu’à de la poudre. C’est incroyablement irritant pour la peau, et il ne faut surtout pas en avoir sur soi. Les astronautes d’Apollo en ont d’ailleurs beaucoup souffert.
Mais il vaut quand même mieux en avoir sur soi qu’à l’intérieur de soi. L’inhalation d’une trop grande quantité de cette poudre peut irriter les poumons, ce qui peut entraîner des troubles respiratoires, de la toux, des maux de gorge, etc. Ces symptômes sont fréquents chez les personnes qui vivent à proximité d’un volcan en éruption. Si vos poumons en reçoivent une trop grande quantité ou si vous en respirez pendant de longues périodes, il peut y avoir des effets plus graves à long terme.
Les machines ne sont pas non plus à l’abri de ces problèmes. Le régolithe est tout le contraire d’un lubrifiant. S’il pénètre dans des machines comportant des pièces mobiles, comme les pompes à air et les portes des sas, il peut causer toutes sortes de dégâts et les bloquer. Ce problème risque d’être difficile à résoudre pour les futurs habitants de la Lune, et la NASA comme l’Agence spatiale européenne travaillent toutes deux sur les moyens d’en atténuer les effets.
L’électricité statique pourrait être une solution. Si vous avez déjà frotté un ballon de baudruche contre vos cheveux pour le coller au mur ou si vous avez reçu une petite décharge en touchant une poignée de porte après avoir marché sur un tapis, vous êtes familier avec cet effet. L’électricité statique se produit lorsqu’il y a un déséquilibre de particules chargées (généralement des électrons) à la surface d’un objet. La charge négative d’un ballon frotté attire les charges positives de la peinture d’un mur, ce qui fait qu’il colle à ce mur.
Le même phénomène physique peut être utilisé pour lutter contre la poussière du régolithe. Si l’on peut conférer une charge statique aux minuscules morceaux de roche déchiquetée, il est en principe possible de les éloigner de la combinaison d’un astronaute à l’aide de champs électriques. Je suppose que vous n’aurez pas très envie de vous frotter la tête sur une combinaison spatiale maculée de régolithe (surtout à l’extérieur d’un sas), mais il existe d’autres moyens d’induire une charge. Par exemple, en frappant les particules de régolithe avec une lumière ultraviolette, les atomes de la surface peuvent éjecter des électrons, ce qui leur confère une charge positive. En créant une charge négative sur une grande plaque métallique fixée au mur, on pourrait alors enlever une partie du régolithe. C’est un peu plus compliqué que ça, bien sûr, mais ça pourrait faire partie d’un processus plus élaboré pour nettoyer les scaphandres et minimiser la contamination à l’intérieur d’un module lunaire.
Mais le régolithe n’a pas que des mauvais côtés. Des pans entiers d’une future base lunaire pourraient en être constitués. Il ressemble à certains égards à un mélange de béton sec et pourrait servir de matériau de construction. Les agences spatiales étudient sérieusement une autre piste. En utilisant la lumière solaire concentrée comme source de chaleur, la poussière pourrait être frittée (comprimée et chauffée de manière à devenir solide) ou même imprimée en 3D pour fabriquer des logements.
Le régolithe, en tant que matériau de construction, devrait offrir une protection correcte contre le soleil brûlant, les radiations des rayons cosmiques (des particules subatomiques ultrarapides à haute énergie qui circulent dans la galaxie), les tempêtes solaires et les micrométéorites. L’extérieur de l’hôtel n’est peut-être pas très joli, mais il est fonctionnel et beaucoup moins coûteux que si les matériaux de construction avaient dû être transportés depuis la Terre. Il ne fait aucun doute que les premières structures sur la Lune seront fabriquées à partir de matériaux préfabriqués apportés par les astronautes, mais l’expansion de ces structures pourrait s’appuyer sur des matériaux prélevés in situ comme le régolithe.
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Une autre chose que vous remarquez en regardant par la baie vitrée de votre hôtel, c’est que pendant les quelques jours où vous êtes coincé à l’intérieur pour vous habituer à la gravité plus faible, le Soleil ne bouge pratiquement pas dans le ciel. Si vous êtes arrivé à l’hôtel à midi, deux jours terrestres plus tard, ce sera encore l’après-midi. En effet, un « jour » sur la Lune — appelons ainsi le temps nécessaire au Soleil pour faire le tour complet du ciel, c’est-à-dire de lever à lever de Soleil — correspond à près d’un mois sur Terre. C’est le temps qu’il faut à la Lune pour tourner une fois sur son axe, ce qui correspond à la définition d’un jour. Si l’on divise le jour lunaire en 24 heures lunaires, une heure lunaire est un peu plus longue qu’un jour terrestre.
Sur Terre, on peut juger de l’heure du jour en fonction de la position du Soleil dans le ciel. On peut aussi le faire sur la Lune, mais c’est différent. Si les ombres s’allongent sur Terre, vous savez que vous devez terminer ce que vous êtes en train de faire avant que la nuit ne tombe. Sur la Lune, en revanche, il vous reste quelques jours terrestres pour terminer votre tâche. Il faudra s’y habituer, comme à un jet-lag qui dure.
C’est au lever et au coucher du soleil que le décalage est le plus marqué. Sur Terre, près de l’équateur et jusqu’aux latitudes moyennes, il faut environ deux minutes au Soleil pour se coucher complètement, c’est-à-dire entre le moment où la partie inférieure du disque solaire touche l’horizon et celui où la partie supérieure passe au-dessous. Ce temps est plus long près des pôles, car la trajectoire du Soleil dans le ciel est beaucoup plus basse, de sorte qu’il s’enfonce selon un angle très faible, ce qui allonge le temps nécessaire pour qu’il soit totalement couché. Mais le coucher de soleil sur la Lune prend beaucoup plus de temps ; si vous êtes près de l’équateur, il faut compter une heure. Cela ne manquera pas de perturber votre perception du temps.
Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est que même lorsque le Soleil est haut dans le ciel pendant la journée, le ciel reste complètement noir. C’est encore l’absence d’atmosphère sur la Lune qu’il faut incriminer. Sans air, rien n’éclaire le ciel, même pendant la journée.
Sur Terre, bien sûr, le ciel n’est noir que la nuit, bien après le coucher du soleil, et il est lumineux pendant la journée. Nous prenons ça pour acquis, mais c’est le résultat de l’interaction entre la lumière du soleil et notre atmosphère. L’air sur Terre est principalement composé de molécules d’azote, qui représentent environ 78 % de notre atmosphère ; le reste est constitué surtout d’oxygène, à hauteur de 21 %. La lumière interagit de manière complexe avec ces minuscules molécules et la manière dont la lumière change après avoir touché une molécule donnée dépend de sa longueur d’onde, c’est-à-dire de sa couleur. La lumière de grande longueur d’onde, à l’extrémité rouge du spectre, a tendance à passer sans problème. En revanche, la lumière plus bleue a plus de mal à passer. Les molécules d’azote et d’oxygène agissent comme des pare-chocs pour ce type de lumière, la faisant rebondir dans une direction semi-aléatoire.
S’il n’y avait pas d’atmosphère sur Terre, la seule lumière que vous verriez proviendrait directement du Soleil. Mais grâce à notre atmosphère, lorsque vous vous détournez du Soleil, où que vous regardiez dans le ciel, de nombreuses molécules d’azote et d’oxygène sont touchées par la lumière bleue du Soleil et la redirigent vers vous. C’est pourquoi le ciel est bleu ! La lumière bleue provient de tous les endroits où il y a des molécules d’azote et d’oxygène. C’est également la raison pour laquelle les couchers de soleil sont rouges. Plus vous regardez près de l’horizon, plus votre regard traverse d’air. Lorsque le soleil est bas, il traverse plus d’air, ce qui multiplie les risques de dispersion de la lumière. Même la lumière verte et jaune peut se disperser si vous regardez à travers suffisamment d’air, ne laissant passer que l’orange et le rouge, ce qui rend le Soleil plus rouge. Sur la Lune, en revanche, il n’y a pas d’air, donc pas de diffusion, donc pas de couleur, de sorte que le ciel est noir même lorsque le Soleil est levé.
On pourrait penser que si le ciel est noir sur la Lune, on devrait pouvoir voir beaucoup d’étoiles même pendant la journée. Après tout, lorsque le ciel de la Terre est noir, les étoiles sont bien visibles. Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas. Vous ne voyez que peu d’étoiles, voire aucune, à moins de prendre des dispositions spéciales pour les voir.
La raison en est évidente si vous regardez autour de vous : le Soleil brille sur le paysage lunaire, illuminant tous les rochers, cratères, montagnes et autres. L’éclairage est aussi intense que celui d’un paysage terrestre pendant la journée, et vos yeux vont s’y adapter. Vos pupilles se contracteront, laissant pénétrer moins de lumière dans vos yeux, afin que vous ne soyez pas ébloui par la scène. Mais cela signifie aussi que les étoiles, qui sont peu lumineuses, seront plus difficiles à repérer.
Pourtant ce n’est pas impossible. Placez-vous par exemple à l’ombre d’un gros rocher, et fermez les yeux pendant quelques minutes pour les laisser s’adapter à l’obscurité. Ça vous aidera. Masquez le paysage lumineux qui vous entoure avec votre bras tenu contre la visière de votre combinaison spatiale. Même dans ce cas, les reflets dans votre visière gênent votre observation des étoiles. Vous pouvez toujours essayer, juste pour vous amuser, juste pour pouvoir dire que vous avez vu des étoiles pendant la journée, mais vous serez sans doute déçu.
Si vous essayez de le faire pendant la nuit lunaire, alors, oui, les étoiles seront largement visibles. Vous pourrez même en voir plus que dans les endroits les moins éclairés de la Terre. Comme l’air terrestre n’est pas parfaitement transparent et qu’il est constamment en mouvement, il absorbe et brouille la lumière des étoiles très peu lumineuses, qui sont ainsi difficiles à voir. Les étoiles peu brillantes peuvent devenir complètement invisibles depuis la Terre. Sur la Lune, en revanche, on peut les voir. Toutefois, dans le meilleur des cas, cela ne ferait que doubler le nombre d’étoiles visibles. Nos yeux ne sont tout simplement pas adaptés à la vision d’étoiles peu lumineuses ; nous ne pouvons voir qu’un nombre limité d’étoiles. Le fait d’être sur la Lune n’y change rien. Vous ne serez pas inondé par la lumière d’une galaxie flamboyant dans le ciel.
Il existe une autre grande différence entre la Terre et la Lune, liée à l’absence d’air sur cette dernière. Sur la Lune, si vous prenez le temps d’observer patiemment le coucher du soleil, lorsque la dernière partie du Soleil disparaîtra sous l’horizon, ce sera comme si une lumière s’éteignait. Lorsque le Soleil disparaît, la lumière disparaît aussi, et il fait immédiatement nuit. Paf ! c’est la nuit.
Sur Terre, une période de clair-obscur prolongée, le crépuscule après le coucher de soleil et l’aube avant son lever, donne suffisamment de lumière pour voir. Le soleil a beau être couché pour vous, qui êtes debout sur le sol, il éclaire encore les hauteurs. Pensez à une montagne au coucher du soleil, dont le sommet est illuminé alors que ses flancs inférieurs sont dans l’ombre. L’air au-dessus peut disperser cette lumière jusqu’à vous et, de ce fait, le ciel vous semble faiblement éclairé. C’est le crépuscule. Sur la Lune, il n’y a pas d’air et donc pas de crépuscule. Lorsque le Soleil se couche, c’est fini. Plus de lumière.
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La fenêtre de l’hôtel lunaire par laquelle vous regardez vous offre une agréable vue de la magnifique désolation de la Lune , mais il n’y a rien de tel que d’être à l’intérieur même du paysage. Après un voyage de 380 000 kilomètres, parcourons les derniers mètres — c’est l’heure d’un moonwalk .
En tant que touriste, cela se passera sans doute cela au sein d’un groupe, et accompagné d’au moins deux guides. Pas question de marcher sur la Lune sans l’aide de professionnels — et sans une très bonne combinaison spatiale. Pour vous maintenir en vie à la surface de la Lune, votre scaphandre ne doit pas se contenter d’être un ballon rempli d’air qui vous permette de respirer et vous protège de la poussière du régolithe. Il est aussi là pour vous empêcher de geler et de bouillir.
Sur la Lune, le manque d’air entraîne d’énormes variations de température entre le jour et la nuit. Rappelez-vous : le Soleil reste levé pendant deux semaines d’affilée, puis couché pendant les deux suivantes, ce qui laisse à la surface lunaire alternativement beaucoup de temps pour se réchauffer, puis pour se refroidir. À midi, près de l’équateur, la température peut tout à fait être bien supérieure au point d’ébullition de l’eau , alors que la nuit, elle descend suffisamment bas pour liquéfier l’azote gazeux et geler le dioxyde de carbone.
Ceci étant dit, la température est un concept étrange. Lors d’une journée chaude sur Terre, vous vous réfugiez naturellement à l’ombre. Pourtant, l’air est à peu près à la même température sous un arbre et en dehors. Si vous avez l’impression qu’il y fait plus frais, c’est parce qu’à l’ombre, vous n’absorbez pas directement la chaleur du soleil (la chaleur dite radiative). Vous avez donc une sensation de fraîcheur. Mais même à l’ombre, l’air vous touche et vous transmet sa chaleur selon un processus appelé conduction. La conduction est plus efficace que le rayonnement pour vous réchauffer ou vous rafraîchir. Pour bien vous représenter le phénomène : tenir vos mains près d’un feu les réchauffe, mais les mettre directement dans le feu… n’est pas une bonne idée.
En outre, la température est différente de la chaleur. Par exemple, vous pourriez à la rigueur entrer dans un four chaud sans protection, mais si vous touchez la paroi… aïe ! L’air du four est à la même température que la paroi, mais il est beaucoup moins dense et ne transmet pas aussi bien la chaleur que cette dernière.
La mesure de la température sur la Lune s’avère donc un peu délicate. La surface d’une roche peut absorber la lumière du soleil et devenir terriblement chaude, alors que le régolithe ne transfère pas aussi bien la chaleur. Par conséquent, votre combinaison devra en faire plus pour vous garder au frais si vous vous tenez dans un endroit rocheux à midi que si vous vous tenez sur un terrain où le régolithe est épais .
Le vide rend également la notion de « température » plus compliquée. En l’absence d’air, le seul canal de conduction de la chaleur est la semelle des bottes de votre combinaison spatiale. Un être humain génère et émet beaucoup de chaleur, si bien qu’à l’intérieur d’une combinaison isolée, il peut faire très chaud. C’est pourquoi les combinaisons des astronautes d’Apollo étaient blanches, afin de refléter le plus possible la lumière du soleil et de les garder plus fraîches. Les gens pensent que l’on gèle dans l’espace, mais le problème est qu’on a en réalité plutôt trop chaud. Le rayonnement ne produit aucun effet et il est difficile d’évacuer dans le vide la chaleur produite. Il est indispensable de maintenir un équilibre pour conserver la bonne quantité de chaleur. Les astronautes d’Apollo travaillaient à la surface pendant la journée, leurs combinaisons étaient donc conçues pour les garder au frais. S’ils étaient restés dans l’ombre lunaire pendant un certain temps, ils se seraient gelés !
La leçon à tirer est simple : les choses que vous connaissez intuitivement en tant que terrien de naissance sont à jeter par le sas quand vous êtes sur la Lune.
Vous y voilà. Vous avez suivi les cours de sécurité, vous vous êtes entraîné dans votre combinaison — qui sera blanche, compte tenu de ce que nous venons d’apprendre — à l’intérieur de l’hôtel, et vous avez signé tous les formulaires peu rassurants qui dégagent la compagnie touristique de toute responsabilité au cas où vous seriez frappé par une micrométéorite, ou si vous trébuchiez et heurtiez votre visière assez fort pour la fissurer et ainsi perdre tout votre oxygène, ou même si une éruption solaire survenait pile au moment où vous êtes à l’extérieur et vous envoyait une dose fatale de radiations.
Allons-y, marchons sur la Lune !
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Vous prenez place dans l’immense sas avec les autres touristes et les guides. L’air s’écoule dans des réservoirs de stockage, éliminant la force colossale qui s’exerce sur la porte extérieure par pression et qui empêcherait son ouverture. Lorsque cette pression indique 0, les guides ouvrent la porte.
Habitué désormais à la pesanteur de la Lune, vous vous glissez rapidement à l’extérieur et vous vous retrouvez sur une grande terrasse fabriquée en régolithe. Enfin, vous descendez, effectuant votre premier petit pas sur la surface de la Lune.
Le son du régolithe qui craque un peu sous vos pieds est transmis par votre combinaison. Il a été damé par le personnel de sorte que les nouveaux arrivants ne fassent pas leurs premiers pas sur de la poussière déjà tassée par tous ceux l’ayant foulée auparavant. Vous faites quelques pas. Le paysage que vous avez vu tout à l’heure par la fenêtre vous émerveille. Puis, vous trouvez un endroit un peu à l’écart de vos compagnons de marche. Vous posez vos pieds, respirez et vous levez la tête.
Accordez-vous une petite pause. Cette vue est hallucinante !
Le ciel lui-même est comme une grotte profonde : vide et noir comme de la poix. Vous ne voyez pas d’étoiles, mais le croissant de Terre domine le ciel.
Bien sûr, vous avez déjà vu la Terre depuis l’espace, d’abord lors de votre mise en orbite, puis pendant les quelques jours qu’a duré la croisière vers la Lune. Mais ici, vous vous trouvez à nouveau sur un sol solide, avec un haut et un bas bien définis. Cela vous semble un peu moins « extraterrestre » que lorsque vous flottiez en microgravité .
Vous levez les yeux vers la Terre. Elle est si lumineuse, si grande… et si colorée ! Du bleu, du brun, un peu de vert par endroits, des traînées blanches de nuages… Les continents sont également facilement discernables. C’est notre chez-nous, là où sont nés tous les êtres humains qui existent ou ont existé. C’est le berceau de l’humanité. Mais… pourquoi a-t-elle la forme d’un croissant ?
C’est une question de géométrie. Exactement comme pour la Lune qui dessine plusieurs formes dans le ciel terrestre. La Lune tourne autour de la Terre en un peu moins d’un mois. Lorsqu’elle se trouve entre nous et le Soleil, le côté que nous voyons est sombre ; c’est ce que nous appelons une nouvelle lune. Au fur et à mesure que la Lune se déplace sur son orbite, différentes parties en sont éclairées par le Soleil. Lorsque, quelques jours plus tard, la Lune a fait un quart du tour de la Terre, le Soleil l’éclaire « de côté » et elle est à moitié pleine. On peut parler de demi-lune, mais en se référant à l’orbite, les astronomes parlent de premier quartier. La Lune devient ensuite gibbeuse — d’après un mot latin signifiant « bosse », car elle présente comme un renflement. Au cours de la semaine suivante, sa taille augmente jusqu’à ce qu’elle soit à mi-chemin de son orbite et à l’opposé du Soleil dans le ciel. Nous voyons alors toute la face de la Lune illuminée, et nous disons que la Lune est pleine. Au cours des deux semaines suivantes, le processus s’inverse, passant par la lune gibbeuse, puis le croissant et enfin la nouvelle lune, lorsqu’elle est à nouveau du côté du Soleil dans le ciel. Lorsque la surface éclairée s’agrandit au cours des deux premières semaines, on dit qu’elle est croissante, et lorsqu’elle se réduit, on dit qu’elle est décroissante.
Depuis la Lune, on voit la Terre faire la même chose, mais à l’opposé. Lorsque la Lune est nouvelle, elle se trouve entre la Terre et le Soleil. Mais depuis la Lune, on voit la Terre à l’opposé du Soleil dans le ciel, ce qui signifie qu’elle est pleine. De même, lorsque les habitants de la Terre voient la Lune comme étant pleine, depuis la Lune, la Terre se trouve du côté du Soleil, c’est la nouvelle Terre. Tandis que la Lune semble s’éclairer de plus en plus pendant la première moitié de son orbite, la Terre semble l’être de moins en moins. Lorsque la Lune gonfle vue de la Terre, la Terre s’étiole vue de la Lune, et vice versa.
Curieux, non ? Et il y a mieux. La Terre tourne sur elle-même une fois par jour, mais la Lune met un mois à faire le tour de la Terre. Cela signifie que les phases — la façon dont vous voyez la Terre éclairée — changent lentement. Mais comme la Terre tourne rapidement sur elle-même, en l’espace d’une heure ou deux, vous pouvez voir les continents et les océans défiler sur un même croissant de Terre.
La ligne qui sépare le jour de la nuit sur un astre s’appelle le terminateur. Lorsque vous vous trouvez sur la Lune et que vous regardez votre planète à travers le gouffre de l’espace, les personnes qui se trouvent sur cette ligne sont en train de vivre un coucher de soleil. Sur le terminateur situé de l’autre côté de la planète, que vous ne pouvez pas voir, elles vivent au contraire un lever de soleil. C’est une pensée étrange : chacune des personnes qui se trouve sur le terminateur vit une expérience qui lui appartient : un coucher de soleil, à un endroit bien précis. Mais vous, depuis la Lune, vous avez une vue d’ensemble : vous pouvez « voir » des millions de personnes vivre le coucher du soleil en même temps, à mesure que la rotation de la Terre les fait passer du côté jour au côté nuit de la planète en passant par le terminateur.
Tous les astronautes vous le diront : les voyages dans l’espace changent votre point de vue, au sens propre comme au figuré.
Si vous vous trouvez sur la Lune lorsqu’elle est nouvelle, la Terre vous paraîtra ultra-lumineuse. Il y a trois raisons à cela. La première est que la Terre est pleine et que la quantité de lumière solaire qu’elle réfléchit vers la Lune est donc maximale. La deuxième raison est que, dans l’ensemble, la Terre est plus réfléchissante que la Lune. L’eau et les nuages réfléchissent mieux la lumière du soleil que ne le fait la surface lunaire, de sorte qu’à surface égale, la Terre vue de la Lune est environ deux à trois fois plus lumineuse que la Lune vue de la Terre. La troisième raison est que la Terre est plus grande que la Lune. Le diamètre de la Terre est 3,7 fois celui de la Lune. Si vous vous remémorez vos cours de maths de troisième, vous vous souviendrez peut-être que la surface d’un objet augmente avec le carré de son diamètre. Si la Terre est 3,7 fois plus grande que la Lune, sa surface est quant à elle 3,7 x 3,7, soit environ 14 fois plus grande. Voilà pourquoi la Terre apparaît beaucoup plus grande vue de la Lune que la Lune vue de la Terre.
Si elle est 14 fois plus grande et réfléchit la lumière avec trois fois plus d’intensité, cela signifie que la Terre est environ 40 fois plus lumineuse vue de la Lune que ne l’est la Lune vue de la Terre. Voir un clair de Terre depuis la Lune doit faire un sacré choc !
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De façon surprenante, si vous sortez sur la Lune la nuit suivante (ou disons 24 heures plus tard), la Terre sera presque exactement au même endroit dans le ciel. Depuis la plupart des endroits de la Lune, vous ne verrez jamais la Terre se lever ou se coucher. Elle se contente de flotter dans le ciel, plus ou moins au même endroit que d’habitude.
C’est très différent de la façon dont nous voyons la Lune depuis la Terre. Tout comme le Soleil et les étoiles, la Lune se lève et se couche environ une fois par jour, conséquence de la rotation de la Terre, une fois toutes les 24 heures. Mais la Lune est différente : son jour — le temps qu’il lui faut pour tourner une fois sur son axe — est de la même longueur que le temps qu’il lui faut pour tourner autour de la Terre.
Ce n’est pas une coïncidence, c’est le résultat de la danse implacable de la gravité. La gravité de la Terre génère un renflement sur la face visible de la Lune, ainsi que sur sa face cachée — même si, techniquement, c’est la plutôt la variation de la gravité de la Terre en fonction de la taille de la Lune qui est à l’origine de ce phénomène. La gravité s’affaiblit avec la distance, de sorte que la face la plus proche de la Lune ressent une attraction légèrement plus forte que n’en ressent la face la plus éloignée. C’est ce phénomène qui provoque les marées.
Lorsque la Lune tourne sur elle-même, la surface située sous le renflement monte et descend. Le frottement qui se produit à l’intérieur de la Lune du fait de ce mouvement « vole » de l’énergie à sa rotation, ce qui la ralentit. Finalement, le temps qu’il faut à la Lune pour tourner une fois sur elle-même est le même que le temps qu’il lui faut pour orbiter une fois autour de la Terre ; le terme technique pour désigner ce phénomène est la résonance spin-orbite. Lorsque cette résonance est atteinte, la surface de la Lune ne se soulève plus et ne s’affaisse plus sous les protubérances, et un équilibre est atteint.
Il est étrange de penser que la Lune tourne sur elle-même une fois par mois, car nous voyons en toujours la même face. Mais nous voyons la même face justement parce qu’elle tourne une fois par mois. Si elle ne tournait pas sur elle-même, nous verrions, au fil d’une orbite, toute la surface de la Lune, y compris la face cachée.
C’est assez facile à démontrer. Prenez un objet rond, comme une orange, et marquez un X à un endroit donné. Tenez-le dans une main, à environ 30 cm de votre autre main (qui représente la Terre ; serrez le poing si cela vous aide à la visualiser) de façon que le X soit face à votre autre main. Déplacez maintenant l’orange de façon qu’elle commence à « orbiter » autour de votre poing. Observez le X. Reste-t-il pointé vers votre poing ? Non ! Il ne le restera pas à moins que vous ne fassiez tourner l’orange sur elle-même. Vous devez la faire tourner de façon qu’elle effectue une rotation complète pour chaque orbite autour de votre poing. Sinon, le X ne restera pas dirigé vers votre ersatz de Terre.
C’est la même chose pour la Lune. Elle tourne sur elle-même une fois par orbite et, depuis la Terre, nous voyons toujours la même face. Mais si vous êtes sur la Lune, la Terre ne semble pas bouger dans le ciel.
Enfin, plus ou moins. En fait, comme pour beaucoup de choses en astronomie, c’est plus compliqué que ça. Le plan de l’orbite lunaire et son axe de rotation sont inclinés par rapport à l’orbite de la Terre autour du Soleil, de sorte que la Lune semble « osciller » de haut en bas, du nord au sud, de plusieurs degrés au cours d’une orbite lunaire . Depuis la Lune, vous verriez la Terre faire la même chose.
En outre, l’orbite de la Lune est une ellipse, de sorte qu’elle est plus proche de la Terre à certains moments qu’à d’autres. Lorsqu’elle est plus proche, elle se déplace plus vite sur son orbite, et lorsqu’elle est plus éloignée, elle se déplace plus lentement. Mais sa rotation sur elle-même est constante. Par conséquent, elle tourne sur elle-même parfois un peu plus vite ou un peu plus lentement qu’elle ne tourne autour de la Terre. Au final, sur un mois, nous ne voyons qu’un peu plus de la moitié de la Lune. Lorsqu’elle est plus proche de nous sur son orbite, nous voyons un peu au-delà du bord est habituel, et lorsqu’elle est plus éloignée, nous voyons un peu au-delà du bord ouest. Ce mouvement est appelé libration.
Depuis la Lune, la Terre semble également se déplacer vers l’est et vers l’ouest. Le mouvement réel de la Terre dans le ciel au cours d’un mois est compliqué, mais il trace une ellipse d’environ 15° de long par rapport aux étoiles. Vous verriez la Terre bouger, mais très lentement. Si vous vous trouvez près des pôles de la Lune, la Terre apparaîtra dans le ciel près de l’horizon. Si vous choisissez bien votre emplacement, vous pourrez voir la Terre se lever et se coucher trrrrrrrèèèèès lentement en l’espace de deux semaines. Ce serait extraordinaire, même si cela mettrait votre patience à rude épreuve.
Si on considère l’ensemble de ces mouvements, on peut diviser la Lune en deux hémisphères à peu près égaux : la face qui fait toujours face à la Terre, ou face visible, et la face qui lui tourne le dos, ou face cachée. Du côté visible, on peut toujours voir la Terre. Du côté opposé, on ne la voit jamais. Entre les deux, il y a une large bande d’où l’on peut observer la Terre se lever et se coucher à l’horizon en raison de la libration.
Notez l’idée fausse qui consiste à confondre la face cachée de la Lune avec la face obscure. Ce n’est pas la même chose. Avec tout le respect que je dois à Pink Floyd, il n’existe pas de « dark side of the moon », du moins pas de façon permanente. À n’importe quel endroit de la Lune, il y aura de la lumière pendant le jour lunaire et de l’obscurité pendant la nuit, en fonction de la position du Soleil dans le ciel. En revanche, les faces visible et cachée dépendent de la position de la Terre dans le ciel lunaire. Il existe réellement une face cachée permanente, de laquelle la Terre est à jamais cachée.
Elle offrirait un ciel vraiment très noir pendant la nuit lunaire et d’ailleurs, les astronomes considèrent depuis longtemps que la face cachée de la Lune serait un endroit idéal pour installer des télescopes : en l’absence d’une Terre brillante dans le ciel, il y aurait en effet beaucoup moins de lumière « parasite ». Ce serait aussi un site de choix pour implanter des radiotélescopes. En effet, la masse de la Lune ferait office de bouclier anti ondes radio émises par les humains. Les astronomes réfléchissent déjà à l’idée de construire un radiotélescope au fond d’un grand cratère, qu’ils tapisseraient d’un métal réfléchissant les ondes radio. Ce serait certes coûteux, mais il faut avouer qu’il serait plutôt cool, cet observatoire.
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Même s’il n’y a pas de face en permanence obscure de la lune, il y a des endroits où le Soleil ne brille jamais. C’est là que réside l’un des plus surprenants et des plus beaux secrets que la Lune ait gardé durant tous ces milliards d’années.
Aux pôles de la Lune, le Soleil est toujours bas, ne dépassant jamais l’horizon de plus d’un ou deux degrés. Cela signifie qu’un observateur se tenant à la surface de la Lune verrait le Soleil tourner autour de l’horizon, passant à peine au-dessus et au-dessous de celui-ci au cours d’une journée lunaire.
Cela signifie également que les cratères situés près des pôles ont une propriété très particulière. S’ils sont suffisamment profonds, leur fond ne reçoit jamais la lumière du soleil. Ils sont perpétuellement dans l’obscurité, leurs parois et leur bord surélevé bloquant les rayons du Soleil. Le Soleil peut éclairer au mieux le sommet du rebord, mais c’est à peu près tout. Les planétologues appellent ces zones des régions d’ombre permanente. On en trouve beaucoup aux deux pôles lunaires, en nombre toutefois plus important au pôle sud.
Parce qu’elles ne reçoivent jamais la lumière du soleil, ces zones sont incroyablement froides, près de -240 °C. Les scientifiques les appellent des pièges à froid. Une substance qui a besoin de froid pour se maintenir sera rapidement détruite si elle était exposée sur la surface lunaire, mais elle peut se maintenir sans problème dans les profondeurs de ces cratères.
Au cours de son existence — et nous parlons ici de milliards d’années — la Lune a été soumise à des impacts de météorites et d’astéroïdes qui l’ont pilonnée sans pitié. Or, ces deux types d’objets contiennent beaucoup d’eau, une eau susceptible d’être chauffée puis libérée sous forme de vapeur lors des impacts. En tombant ensuite au fond des cratères polaires, cette vapeur d’eau se retrouverait piégée à jamais, sous forme de glace. Les scientifiques ont donc émis l’hypothèse que, malgré l’absence d’air, la faible gravité, l’énorme amplitude thermique et bien d’autres facteurs, il pouvait y avoir de la glace d’eau enfouie dans ces cratères. Beaucoup d’eau .
Plusieurs tentatives ont été menées pour la trouver. En 1999, la sonde de la NASA Lunar Prospector a été précipitée dans un cratère du pôle sud, avec l’espoir que la glace qui s’y trouverait se vaporiserait et se rendrait ainsi visible aux télescopes terrestres. Aucune glace, hélas, n’a été observée . Diverses autres missions n’ont donné aucun résultat concluant. En 2008 enfin, la mission indienne Chandrayaan-1 apporte des preuves convaincantes de la présence de glace dans ces cratères : elle y détecte des points brillants dans des couleurs très spécifiques de la lumière infrarouge, dont la glace d’eau est connue pour être un excellent réflecteur. Une découverte confirmée dix ans plus tard à partir des données de la mission. On ne sait pas encore exactement quelle quantité de glace se trouve dans ces cratères, mais cela pourrait se compter en centaines de millions de tonnes.
Ça fait beaucoup de glace. Et bien sûr, c’est très utile. Nous, les humains, nous sommes des sacs de viande, et nous avons besoin de boire de l’eau pour vivre. Mais cet H2O est très utile aussi car il peut être décomposé en hydrogène et en oxygène. Le premier peut être utilisé comme carburant pour les fusées. Quant au second, il est plutôt pratique pour respirer.
L’eau est lourde et très coûteuse à transporter de la Terre vers la Lune. En trouver sous le régolithe, en quantité équivalente à, disons… plusieurs énormes icebergs, serait donc un super trophée ! La NASA envisage déjà d’explorer le pôle sud de la Lune. Mieux encore, dans certains cas, les bords de ces cratères sont exposés en permanence à la lumière du soleil, de sorte que l’installation de panneaux solaires à cet endroit (peut-être sur des pivots pour suivre le mouvement du soleil dans le ciel lunaire) permettrait d’obtenir de l’énergie gratuite pour extraire la glace, ainsi que pour alimenter une petite base d’avant-poste sur place.
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Choisir l’endroit à visiter sur la lune est une chose. Choisir le bon timing en est une autre. Environ deux fois par an, les choses s’alignent de manière que la Lune passe directement devant le Soleil vu de la Terre. C’est une éclipse solaire.
Ce sont des événements incroyables à observer depuis la surface de la Terre. Lorsque la Lune masque le Soleil, le ciel s’assombrit et la lumière devient étrange. Lorsque le Soleil est complètement masqué, nous pouvons voir son atmosphère ténue, appelée couronne — d’immenses et fines traînées de lumière qui peuvent s’étendre à bonne distance, à travers le ciel.
Et l’ombre de la Lune tombe directement sur la surface de la Terre. Ce phénomène est rare car, comme nous le savons, l’orbite de la Lune est inclinée par rapport à celle de la Terre, de sorte qu’elles doivent s’aligner exactement l’une sur l’autre ; normalement, à la pleine lune, l’ombre tombe au-dessus ou au-dessous de la Terre, elle la manque.
Si vous avez déjà assisté à une éclipse solaire totale, vous savez à quel point cela peut être émouvant. Mais en voir une depuis la Lune ? Quelle merveille !!
Vous verriez l’ombre de la Lune sur la Terre ! Votre planète serait pleine dans le ciel, et au début de l’éclipse, l’ombre de la Lune apparaîtrait sur le bord. D’une largeur de 160 kilomètres, elle serait beaucoup plus petite que la Terre elle-même, qui fait environ 13 000 kilomètres de large. L’ombre traverserait la face de la planète à une vitesse de 1 600 kilomètres par heure, mais, à une distance de 400 000 kilomètres, le mouvement serait à peine perceptible. Des jumelles ou un télescope permettraient d’agrandir la vue et de voir, pendant une heure environ, les détails de la trajectoire de l’ombre sur la Terre, couvrant les nuages, les continents et les océans. Vous sauriez que les gens en bas se pressent le long de cette trajectoire et vous regardent. Quel spectacle ! Que serait le prix demandé par les entreprises touristiques pour réserver un billet pour voir ça ? Mais quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’elles demanderaient encore beaucoup plus pour une éclipse de Lune.
Paradoxalement, les éclipses de Lune ne sont pas aussi impressionnantes vues de la Terre. C’est le moment où l’ombre de la Terre tombe sur la Lune. C’est très beau : la face de la Lune est lentement recouverte par l’ombre circulaire de notre planète. Mais contrairement aux éclipses solaires, elles durent beaucoup plus longtemps, parfois toute la nuit, et n’ont pas la théâtralité de la couronne solaire. Ces éclipses sont amusantes, mais n’ont pas le même niveau de « waouh ! »
Mais si vous vous trouviez sur la Lune à ce moment-là, vous lèveriez les yeux et verriez la Terre masquer le Soleil. Il s’agirait d’une éclipse solaire, mais, comme vue de la Lune, la Terre est beaucoup plus grande que ne l’est le Soleil, vous ne verriez pas tellement la couronne pendant la totalité de l’éclipse. Ce n’est pas grave, car cette éclipse engendre un spectacle qu’aucun observateur terrestre ne pourra jamais voir : un astre avec une atmosphère qui masque le Soleil.
Au plus fort de l’éclipse, lorsque la Terre couvre complètement le Soleil, la voilà entourée d’un brillant anneau rouge-orangé : l’air au-dessus de la surface de la Terre éclairé par le soleil, la lumière le traversant pour vous atteindre. Cette couleur rougeâtre s’explique par le fait que, comme on l’a déjà vu, l’atmosphère terrestre diffuse la lumière bleue et laisse passer les couleurs plus rouges. L’anneau rougeâtre que vous verrez autour de la Terre correspond à l’endroit où, du point de vue des habitants de la planète, le Soleil se lève ou se couche.
Vous comprenez mieux pourquoi les futures sociétés de tourisme pourront vous faire payer ce qu’elles veulent pour vous emmener sur la Lune. Pendant une heure environ, vous assisterez à rien de moins que tous les levers et tous les couchers de soleil sur la Terre, en même temps.
Quel spectacle à voir, quelle expérience à vivre ! Ça vaut sans doute une semaine de nausées dues à la microgravité pour aller sur la Lune et en revenir, rien que pour ces quelques précieuses minutes.
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Le tourisme lunaire sera peut-être un jour florissant, mais ça n’empêchera pas l’exploration scientifique de la lune.
Quand on y pense, c’est une aventure formidable. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que nous avons commencé à avoir des vues rapprochées de la Lune, en préparation des missions Apollo. Dans les années 1990, d’autres missions ont été mises en orbite autour de la Lune, la cartographiant en haute résolution — parfois avec une précision de quelques mètres, mais sur des zones limitées. D’autres atterrisseurs et rovers ont été envoyés, ce qui nous a livré encore davantage de détails sur notre plus proche voisine.
Mais la Lune a encore beaucoup à nous apprendre. Comment s’est-elle formée ? À quoi ressemble le fond de ces fameux cratères ? Quelle est la quantité de glace réellement présente ? Que peut-elle nous révéler sur la Terre et le système solaire, sur leur formation et leur évolution ?
Pendant presque toute l’histoire de l’humanité, notre plus proche voisine a été un mystère permanent. Elle l’est encore en grande partie, mais elle ne restera pas longtemps un monde étranger. Bientôt, il se pourrait que de nombreuses personnes y soient chez elles et que son ciel leur soit familier.
★★★
Ciels extraterrestres
Une excursion à travers l'univers